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Les musardises de ParisiAnne

Les musardises de ParisiAnne

Culture, littérature et découvertes. © Les musardises de ParisiAnne


Syngué sabour, Pierre de patience, Atiq Rahimi - Goncourt 2008

Publié par Parisianne sur 24 Mars 2013, 19:09pm

Catégories : #lecture, #Goncourt

Il s'agira ici du livre d'Atiq Rahimi, Goncourt 2008,  et non du film sorti récemment réalisé par l'auteur avec la participation de Jean-Claude Carrière. Personnellement, je n'ai pas vu le film mais si vous l'avez vu et que vous souhaitez en parler, vos commentaires seront les bienvenus.

 

D'après une légende perse, la syngué sabour, pierre de patience, est une pierre magique que l'on pose devant soi pour lui faire partager ses malheurs, ses souffrances, toutes ces choses qui rendent la vie pesante. On lui confie ce que personne ne peut entendre et la pierre absorbe jusqu'à exploser. Ce jour là, on est délivré de sa misère.

A quel prix ?

 

Quelque part en Afghanistan ou ailleurs " précise l'auteur.

L'histoire se passe dans un pays musulman en guerre, une femme veille son mari paralysé et sans aucune expression, depuis qu'il a reçu une balle dans la nuque. Seule avec ses deux filles au milieu du chaos, elle désespère de voir son mari revenir à la vie : "Au nom d'Allah, fais-moi signe pour me dire que tu sens ma main, que tu vis, que tu reviens à moi, à nous. Juste un signe, un petit signe pour me donner de la force, de la foi." Mais malgré ses soins attentifs et ses prières incessantes, l'homme ne donne aucun signe de vie. Les jours passent et la tension croît.

Peu à peu, la femme se met à parler à son époux, elle lui raconte sa vie, elle se raconte. Elle lui fait part de ses craintes avant son mariage, de sa terreur au moment de la nuit de noce trois ans après le mariage avec ce héros combattant qu'elle attendait confiée à la surveillance de sa belle-mère.

"Enfin, imagine, être fiancée pendant presque un an, et mariée pendant trois ans à un homme absentn ce n'est pas évident ! Je vivais avec ton nom. Je ne t'avais même pas vu, entendu, touché auparavant. J'avais peur, peur de tout, peur de toi, du lit, du sang. Mais en même temps c'était une peur que j'aimais."

Au fil des mots,  douloureusement d'abord puis plus ouvertement, elle se livre, laisse s'exprimer sa haine et sa colère, ses regrets aussi face à cet homme parfois violent, ce combattant qui n'a jamais eu la moindre considération pour elle.

"Le sanglot lui vole la voix. Elle s'écarte du mur, ferme les yeux, respire profondément pour dire un mot. Elle n'y arrive pas. Le mot doit être lourd, lourd de sens, lourd à écraser sa voix. Elle le garde alors au fond d'elle, et cherche autre chose de léger, doux, facile à énoncer : "Et toi, tu savais que tu avais une femme et deux filles !" Elle se frappe sur le ventre. Une fois. Deux fois. Comme pour expulser ce mot lourd qui s'est enfoui dans ses tripes. Elle s'accroupie et crie : "Est-ce que tu pensais un moment à nous lorsque tu épaulais ta putain de kalachnikov ? Fils de..."  réprimant encore le mot."

"Les hommes qui ne savent pas faire l'amour font la guerre."

Livrée à elle-même, elle finit par emmener ses filles chez sa tante et revient seule vers son homme pour poursuivre ses confessions même si parfois ses propres mots, son audace l'effraient "Mais... mais pourquoi je lui raconte tout ça ? Accablée par ses souvenirs, elle se lève lourdement. Je n'ai jamais voulu que quelqu'un le sache. Jamais ! […] Il me rend folle ! il me rend faible ! il me pousse à parler ! à avouer mes fautes, mes erreurs ! Il m'écoute ! il m'entend ! c'est sûr ! il chercher à m'atteindre... à me détruire !" 

Mais plus elle se confie, plus la confession devient nécessaire, "je me suis aperçue qu'en effet, depuis que tu étais malade, depuis que je te parlais, que je m'énervais contre toi, que je t'insultais, que je te disais tout ce que j'avais gardé sur le coeur, et que toi tu ne pouvais rien me répondre, que tu ne pouvais rien faire contre moi... tout ça me réconfortait, m'apaisait. […] Parce que désormais je possède ton corps, et toi mes secrets. Tu verras, […] mes secrets te feront vivre. […] Ton souffle est suspendu au récit de mes secrets. […] Mais ne t'inquiètes pas mes secrets n'ont pas de fin ". 

Au fil des jours, la femme traverse les épreuves de la guerre avec son lot de violences et de barbarie et poursuit le récit de sa vie. Comme Shéhérazade racontant ses histoires au roi de Perse pour sauver sa tête, la femme livre son intimité à son mari pour le maintenir en vie et se libérer de son fardeau. Elle lui raconte tout, jusqu'au don de son corps à un jeune soldat qui la prend pour une prostituée, ce pour quoi elle s'est fait passer dans l'espoir d'échapper au viol, et avec qui elle finit par lier une relation tendre. Elle avoue également les extrêmes dans lesquels elle est tombée à seule fin de garder son homme, ces choses inavouables auxquelles elle s'est soumise.

Et ainsi, jusqu'à l'éclatement de sa pierre de patience, jusqu'à sa délivrance,  brutale, douloureuse.

 

Dans un style plutôt simple, ce qui n'enlève rien à la beauté du récit, Atiq Rahimi (qui écrivait là son premier roman en français)  se met donc dans la peau de cette femme qui se livre progressivement à une véritable introspection. Le sujet est violent et douloureux, la révolte est permanente.

 

Un très beau récit malgré la voix de l'homme dans les propos de la femme. Je veux dire par là que certains passages me paraissent vraiment trop crus ou manquant de finesse, voire d'élégance pour que l'on puisse réellement affirmer qu'un homme peut réellement parler au nom d'une femme, même lorsqu'il s'agit d'un auteur de talent. Nous devrions avoir l'occasion de reparler de cette identification à l'autre sexe à travers le dernier livre de Marie Nimier, j'y reviendrai !

 

 

 

 

 

 

 

Syngué sabour, Pierre de patience, Atiq Rahimi - Goncourt 2008
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