Claudel, 1915
Un film de Bruno Dumont, avec Juliette Binoche et Jean-Luc Vincent entourés des patients et soignants d'un hôpital psychiatrique de Saint-Rémy-de-Provence.
Née en 1864, Camille Claudel a 49 ans lorsqu'elle est internée, à la demande de sa famille, dans un hôpital psychiatrique à Ville-Evrard, nous sommes en 1913. En août 1914, en raison de la guerre, les malades sont transférés à Montdevergues à proximité d'Avignon. Camille n'en ressortira plus, elle y mourra en 1943, dans le dénuement et l'abandon le plus total.
Le film s'attache à quelques jours de l'hiver 1915, Camille est à Montdevergues sans réellement comprendre pourquoi, elle souffre de son isolement, de l'absence de visite et de la promiscuité avec de vrais malades mentaux. Seul espoir dans cette attente, une visite de Paul, annoncée pour la fin de semaine, vers laquelle elle concentre toute son attention, tous ses espoirs. Forte de cette lumière là, elle tente de supporter le drame quotidien de la folie de ses compagnes d'infortune avec lesquelles tout échange est impossible en dehors de quelques sourires parfois, douloureux. Lorsque Paul arrive enfin, il passe peu de temps avec sa soeur et refuse d'entendre sa souffrance, la condamnant à expier ses fautes sous prétexte de se soigner.
Avec une grande sobriété, Bruno Dumont met en scène toute la souffrance et l'attente. Juliette Binoche mise à nu nous montre une Camille désemparée, paranoïaque, certes, mais loin des malades mentaux qui l'entourent et avec qui elle semble néanmoins tisser quelques liens fragiles.
Pas de musique, le mistral, les pierres qui roulent sous les pas incertains, le martèlement des galoches sous les voûtes de l'abbaye, les cris et obsessions des patients et au-dessus de ces bruits du quotidien le silence ; le silence comme refuge, le silence comme bourreau. Les dialogues sont rares, les conversations impossibles, le plus bavard étant Paul lorsqu'il évoque en grands mots sa conversion auprès de l'abbé. Il n'aura pas tant de verve avec sa soeur.
L'inquiétude de Camille, sa lassitude se lisent sur le visage sans fard de l'actrice, ce visage qu'elle offre au soleil qui sculpte des reliefs dans une magnifique scène dans laquelle la lumière devient un personnage central. Camille, elle, ne sculptera plus jamais.
La représentation de Don Juan par les patients, rappel de la tragédie de la femme trompée par Rodin, nous fait passer du rire aux larmes portant un instant à son paroxysme le désarroi de Camille qui ne supporte plus les cris, les bruits, la maladie mentale et même la sollicitude des soeurs en charge de la surveillance des patients. Les véritables patients filmés par Dumont se présentent devant nous avec toute leur souffrance, leur absence ou leur tendresse ; c'est extrêmement poignant de lire sur ces visages meurtris la tendresse, l'empathie même.
L'arrivée de Paul ouvre le film aux dialogues et à une autre folie, celle de la mystique excessive, sacrificielle. Tout à l'écoute de Dieu, il n'entend pas (ou ne veut pas entendre sa soeur). Il juge l'art responsable de la dévience de Camille, les artistes étant, sauf à être très forts mentalement, tous voués à la débauche et à la folie. Paul se confie au prêtre, au papier mais oublie de parler à sa soeur. Il ne voit que lui, admire son propre corps, son propre sacrifice financier pour sa soeur, sans sortir de son carcan.
L'espérance d'un retour à la liberté avec cette visite tant attendue par Camille --elle n'avait vu personne de sa famille depuis son internement-- est écrasée par le silence, et c'est en silence que Camille rejoindra son banc face aux lavandes pour offrir son visage à la lumière.
Un film très fort, très dur et magistralement interprêté et filmé.
En un mot, un film bouleversant.