Quand aucune catastrophe ne survient, on avance sans se retourner, on fixe la ligne d'horizon, droit devant. Quand un drame surgit, on rebrousse chemin, on revient hanter les lieux, on procède à la reconstitution. On veut comprendre l'origine de chaque geste, chaque décision. On rembobine cent fois. On devient spécialiste du cause à effet. On traque, on dissèque, on autopsie. On veut tout savoir de la nature humaine, des ressorts intimes et collectifs qui font que ce qui arrive, arrive.
Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas certaine que je serais allée spontanément vers ce roman sur fond de tragédie vécue. Mais c'est le Goncourt, donc il serait tout de même rentré dans ma petite collection. Et puis j'ai eu la chance de pouvoir participer à une soirée d'échange avec Brigitte Giraud, et elle m'a convaincue.
J'ai aimé sa sincérité, son courage aussi, même vingt ans après, et cette volonté de faire de son récit un message universel.
Et c'est vrai, qui ne s'est jamais dit après un évènement tragique : "et si..." ! Bien sûr, ça ne change rien, on ne peut pas changer ce qui est, mais comment s'empêcher de se dire que peut-être si l'on avait fait telle ou telle chose, le cours de la vie aurait pu être différent.
C'est ce à quoi s'emploie Brigitte Giraud dans son récit. Parce que, ne nous y trompons pas, ce n'est pas réellement un roman puisque les faits sont vrais. Son mari s'est tué en moto ce 22 juin 1999, et depuis elle cherche à savoir ce qui aurait pu se passer si...
Cette quête devient obsessionnelle, au point qu'elle n'ose même plus en parler à ses proches. Elle analyse le moindre petit détail, le coup de téléphone qu'elle aurait dû passer mais qu'elle n'a pas fait, les clés de la maison qu'elle n'aurait pas dû avoir mais qu'elle a insisté pour obtenir en avance, la pluie qui aurait pu s'inviter dans cette journée d'été, tout y passe... et c'est troublant.
Le bonheur tenait à ce choix restreint qui nous était offert et à la peur de nous tromper. A ces découvertes que nous faisions par hasard parce que les disques escomptés étaient déjà empruntés. Le bonheur tenait à ce désir qu'on éprouvait et que l'attente aiguisait. Le bonheur c'était le peu, c'était le rare.
Je n'aurais pas appréhendé le livre sous cet angle si elle ne l'avait pas évoqué, mais il est vrai aussi que ce roman nous replonge vingt ans en arrière. Imaginez 1999 ! les téléphones mobiles sont rares, le coût d'une communication via le fixe est élevé surtout quand on sort du département, la musique s'écoute sur CD et n'est pas disponible en un clic sur internet, toutes ces petites choses banales qui nous montrent que le monde a changé.
Et comment le monde change t-il réellement quand soudain on perd l'homme de sa vie et qu'il faut poursuivre la route, seule, avec un enfant de huit ans ?
Pas de pathos, pas de larmoiement, juste des questions, des interrogations nombreuses et toujours sans réponses. Et pourtant, une page qui se tourne, un chapitre qui se ferme. Parce que le vrai sujet de ce livre, c'est cette maison que l'auteure doit vendre sous la pression des promoteurs. Cette maison achetée à deux, deux jours avant le drame, et habitée seule. Cette maison qui ouvrait aux rêves en grands et qui va être démolie, comme la vie a été démolie par une accélération de trop sur une moto trop puissante.
Un texte qui dans sa structure peut paraître déroutant mais qui est d'une vraie force, lancinante comme cette chanson de Death in Vegas qui fait partie de la playlist à écouter en lisant.
Il n'y a que de mauvaises questions.
Death In Vegas - Dirge (Official Video)
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Brigitte Giraud, Vivre vite - Flammarion Prix Goncourt 2022
Et pour les plus curieux, mon article sur le Goncourt 1922 ! Un monde sépare ces deux textes ! Pourtant, un de mes chers seniors né en 1922 a connu ces deux mondes, lui qui a son smartphone pour m'envoyer des textos !