Michelle Tourneur est scénariste et romancière.
La beauté m'assassine est un roman chatoyant que nous avons lu en duo, la voix de l'une pour l'écoute de l'autre, avec un grand plaisir malgré parfois quelques égarements liés aux nombreux parallèles entre songe et réalité, présent et futur.
Florentine est une jeune fille passionnée par la couleur, qu'elle découvre très tôt à travers un livre d'heures confié au curé et à sa soeur qui l'on recueillie dans leur presbytère normand. Seule, Florentine découvre un univers dans ce livre, elle va y plonger, cherchant à interpréter les signes dans les lames du Tarot enseignée par la soeur du curé. Elle sait que sa vie doit basculer.
" Elle a ouvert une page et lentement regardé, jusqu'à épuisement, sans songer à passer à l'autre page, les tons, tous les tons de ciels, de prairies, de manteaux, de robes, d'auréoles, de lettres en écrin d'or, papillotant devant ses yeux comme des irisations, de bulles qui n'auraient pas éclaté à l'air. […]
Les personnages et les décors sont là, imaginés par les peintres. […] Et puis, […]c'est elle qui donne vie au livre. Elle s'aperçoit que c'est elle, et à faire ce constat, elle se fige. Hypnotisée, elle sent le flot des couleurs. […] Elle sait, elle apprend que le monde est VOIR. Voir est sa voie et peut-être davantage, elle doit poursuivre, mais comment ? "
La décision du curé de solliciter un de ses oncles en mal d'enfant pour adopter la jeune fille va bouleverser sa vie. Voilà cette enfant solitaire et sauvage plongée au coeur du Paris des années 1830. Son oncle et sa tante tiennent le Lampas Bleu, un magasin de tissus destinés à la confection des plus belles toilettes. Florentine apprend, observe, s'imprègne et s'intéresse, elle s'abreuve par le regard et parvient à s'immiscer chez un peintre, gloire naissante, maître de la couleur et de la provocation : Eugène Delacroix, qui vient de se voir attribuer par Thiers le décor du Salon du Roi au Palais Bourbon (1833).
" La peinture de Le Brun est belle, mais c'est du décor. Je n'en veux pas. Je veux une impulsion qui traverse l'espace. Un mouvement qui fouille l'âme, qui inquiète... De là naîtra l'émotion. "
Ce roman foisonne de descriptions des toiles de Delacroix et nous évoluons de fait au coeur des oeuvre du maître, La Mort de Sardanapale ou encore Les femmes d'Alger dans leur appartement sont très présentes jusqu'à prendre vie.
" Cet Orient-là n'était pas celui d'Ingres, c'était celui de ses terres profondes. Et comme il en est en amour quand, au premier effleurement, le corps de l'un reconnaît le corps de l'autre, l'Orient du voyage s'était ajusté à celui-là. "
S'il arrive de se perdre dans les retours en arrière ou les rêves de Florentine, dans l'évocation des prédictions des cartes ou tout simplement dans un Paris boueux et violent, ce roman n'en est pas moins un très agréable divertissement.