Henri Béraud, Le Vitriol de lune - Goncourt 1922
Le 13 décembre 1922, le prix Goncourt est attribué à Henri Béraud et, chose surprenante, ce sont deux romans qui sont sacrés ce jour là, Le Vitriol de lune et Le Martyre de l'Obèse. Il ne sera ici question que du premier, l'exemplaire en ma possession aux Editions Albin Michel, offert par un ami, fait, comme vous pouvez le voir, mention du prix sur la couverture, et indique un Copyright 1921.
Cette fois le prix Goncourt fut bien accueilli. Henri Béraud, romancier et journaliste riche de verve, de rigueur et de style, eut une bonne presse. Ses deux romans publiés à un an d'intervalle montraient deux aspects très différents de son talent...
Ces quelques mots de Léon Deffoux sont plutôt flatteurs. Est-ce un hasard si le roman lui est personnellement dédicacé en ces termes :
A Léon Deffoux
Fraternellement
HB
Peu importe ! La qualité d'écriture est là et ce roman qui, contrairement aux premières lignes que vous pourrez lire ci-dessous est loin d'être léger, n'en est pas moins très plaisant à lire tant le style, le vocabulaire sont choisis.
Blaise partait. Il courait le long des boutiques, ses petits poings enfoncés dans les poches de sa culotte. A côté de lui, son image bondissait en ombre rapide dans les carreaux plombés des devantures ; et, quand il sautait les flaques de la rue, l'enfant riait de se voir traversant, la tête en bas, ce ciel de nacre et de fumée qui est le ciel de Lyon.
Blaise, l'insouciant petit garçon qui saute les flaques d'eau se retrouvera bien vite orphelin et séparé de Giambattista, son oncle génois chéri pour être recueilli par un personnage sombre mais bon qui ne tardera pas à tomber dans la débauche. Ce sont les jésuites qui sauveront l'enfant devenu grand de l'enfer des bordels. Ces mêmes jésuites qui blâment le roi Louis XV et ses mœurs dissolues jusqu'à envisager lui donner une bonne leçon.
D'aventure en aventure dans un Paris qui vit sous nos yeux, le jeune Blaise retrouvera son oncle, participera à distance au complot et se verra propulsé dans le vaste monde après l'attentat manqué qui vaudra à son auteur d’être supplicié en place de Grève.
Le sujet est donc lourd et sérieux, la description du supplice n'est pas à mettre sous tous les yeux, mais l'histoire est réelle puisqu'il s'agit de Robert-François Damiens, qui a attenté à la vie du roi le 5 janvier 1757. Je vous invite à suivre le lien sur son nom pour lire quelques détails sur le site du Château de Versailles.
La trame est là, je ne vous révélerai pas la suite bien sûr !
Ce roman, en son temps, trouva son public. Son auteur, par contre, est tombé dans l'oubli et pour cause. Béraud est connu comme étant un pamphlétaire antisémite et pétainiste après avoir été pamphlétaire d'extrême gauche et journaliste au Canard Enchaîné. Il sera condamné à mort en 1944 et gracié par le Général de Gaulle, mais il passera plusieurs années au bagne pour n'en sortir que gravement malade et mourir huit ans plus tard.
Je vous invite à lire cet article de l'Express qui vous en dira plus sur le Martyre de l'obèse. La version évoquée par l'Express concernant le tollé à l'annonce du prix, je ne l'ai trouvée nulle part ailleurs. La seule constante dans les critiques, concernant Henri Béraud, est la qualité de son écriture.
Errants sur les quais brumeux et confus du Havre ils se mêlaient à la foule des coltineurs et passaient des jours entiers près de l'écluse où retentissaient du matin au soir les moulins des calfats. Ils mendièrent aux portes des cabarets, où Giambattista chantait, de sa voix molle et poignante, une chanson génoise, qui réveillait en Blaise le souvenir des après-midi lyonnais et les images troubles et dolentes de son enfance. Toujours la même chanson.