Jean d'Ormesson, Une fête en larmes,
Il faut prendre avec gaieté non seulement notre condition humaine, passagère et fragile, mais la totalité d'un univers depuis toujours menacé.
On est maître de son silence, on est esclave de ses paroles.
Le hasard des rangements a mis ce livre entre mes mains, offert à sa sortie à l'occasion d'un anniversaire et manifestement pas lu par l'intéressée, la récente disparition de son auteur m'a donné envie de prolonger un peu sa présence.
A l'exception de Mon dernier rêve sera pour vous, de certains articles, ou de certaines entrées de livres comme son Guide des égarés ou Un jour je m'en irai sans vous avoir tout dit, je n'ai jamais vraiment rien lu de Jean d'Ormesson.
Alors quand j'ai vu "roman" sur la couverture, je me suis dit "pourquoi pas" retrouver sous cette forme que je ne connais le regard pétillant de ce grand homme.
Je crois en vérité que le monde est un roman inachevé. Tous les romans - je parle des plus beaux et des plus grands - ne sont jamais que des fragments d'une formidable aventure dont nous sommes les jouets.
Une fête en larmes, est une réjouissance !
Un écrivain célèbre reçoit une jeune journaliste à qui - après de longues hésitations - il se livre au fil d'une journée de confession de l'histoire de son monde qui n'est autre que celle du XXe siècle.
Bien sûr, il n'est pas difficile de reconnaître Jean d'Ormesson lui-même sous les traits de cet homme érudit, passionné, tout à la fois très sérieux et facétieux. Mais comment distinguer les éléments autobiographiques de ceux fictifs ? L'auteur maîtrise l'art de nous perdre à la façon du "mentir vrai" d'Aragon. Qu'importe, le plaisir est là, dans ce texte érudit, et pourtant accessible, qui jamais ne laisse un goût amer même s'il peut paraître parfois un peu long, c'est vrai.
L'Illiade, Chateaubriand, Plessis-lez-Vaudreuil, Proust, l'Odyssée, de Gaulle, Cioran ou Pompidou, la Révolution et les deux dernières guerres, l'aristocratie et les maquisards communistes, ma liste n'est pas exhaustive, mais dans le "roman" tout est là qui se mêle sans jamais nous perdre avec ce plaisir des mots dont on ne se lasse pas.
La voix de Jean d'Ormesson, un peu précieux toujours curieux et magnanime résonne tout au long des pages. Je retrouve pour ma part entre ces lignes cet élégant vieux Monsieur croisé à plusieurs reprises et qui ne manquait jamais de sourire et de saluer joyeusement à tous ceux qui le croisaient.
Son regard limpide me manquera autant que son esprit aiguisé. Alors si vous aimez son écriture et souhaitez renouer avec ses thèmes favoris, ce livre devrait vous séduire, malgré ce qu'il écrit lui-même :
"J'ai toujours écrit la même chose sous des formes diverses, je me suis beaucoup répété, chacun de mes livres se confond avec les précédents et reprend les mêmes thèmes avec obstination."
Ecrire est difficile, ne pas écrire est impossible.