Le sermon de la chute de Rome, Jérôme Ferrari - Goncourt 2012
Ce roman a reçu le Prix Goncourt 2012.
Je ne lis pas systématiquement les prix littéraires mais il m'arrive parfois de voir mon attention attirée par certains. Cette année, entre le Grand Prix du roman de l'Académie Française, le Prix Fémina étranger et maintenant le Goncourt je rétablis ma moyenne !
Je ne saurais cependant pas dire si j'ai été convaincue ou décontenancée par celui-ci. L'écriture de Jérôme Ferrari est certes très belle, portée par de longues phrases qui résonnent parfois comme le chant polyphonique dont il est question à plusieurs reprises. Mais l'alternance entre le lyrisme et une certaine trivialité, si elle ancre le roman dans le réel, m'a parfois dérangée. D'autre part, la référence explicite et expliquée au sermon de Saint Augustin a mis le doigt sur une de mes lacunes, je reconnais ne pas être suffisamment versée sur le sujet pour avoir, peut-être, saisi toutes les subtilités...
Le premier chapitre m'a cependant paru original. Marcel contemple une photo sur laquelle il n'est pas. Et s'il n'est pas sur ce cliché c'est simplement parce qu'il n'est pas encore né. Il regarde donc sa famille telle qu'elle était avant sa naissance, il regarde sa mère, "et chaque fois qu'il croise le regard de sa mère, Marcel a l'irrépressible certitude qu'il lui est destiné et qu'elle cherchait déjà, jusque dans les limbes, les yeux du fils encore à naître et qu'elle ne connaît pas." C'est ainsi que s'ouvre devant nous l'histoire de Marcel, de sa famille dont il contemple les visages disparus "[…] nous savons ceci : pour qu'un monde nouveau surgisse, il faut d'abord que meure un monde ancien."
C'est cette succession de mondes que l'auteur nous donne à voir ici. Un monde s'effondre, un autre renaît de ses cendres mais cela signifie-t-il qu'un monde va toujours inexorablement à sa perte ? "Le monde est comme un homme : il naît, il grandit et il meurt." Saint Augustin
L'essentiel de l'histoire se passe dans un petit village de Corse. Matthieu, aidé par son grand-père Marcel qui lui prête de l'argent, et Libero son ami d'enfance, l'un et l'autre élèves brillants arrêtent leurs études de philosophie pour venir reprendre le bar du village de leur enfance afin de le faire à nouveau prospérer. Pleins de rêves et d'ambitions, les deux jeunes gens ne ménagent pas leurs forces pour attirer les clients. "On aurait dit que c'était le lieu choisi par Dieu pour expérimenter le règne de l'amour sur terre et les riverains eux-mêmes, d'habitude si prompts à se plaindre des moindres nuisances, au premier rang desquelles il fallait compter la simple existence de leurs contemporains, arboraient le sourire inaltérable et béat des élus."
Le succès est au rendez-vous, villageois et touristes viennent autant pour le plaisir de se retrouver pour écouter le jeune chanteur que pour les jolies serveuses engagées par les nouveaux tenanciers. Ces derniers sont totalement pris par leur rêve au point de ne pas voir l'évolution des choses "ils n'étaient pas des dieux mais seulement des démiurges, et c'était le monde qu'ils avaient créé qui les tenait maintenant sous l'autorité de son règne tyrannique […] ils surent que le monde qu'ils avaient créé ne les laisserait pas partir […]"
Leur entreprise prend rapidement un tour qui leur échappe, les conduisant à des comportements excessifs tendant vers la débauche. "Le démiurge n'est pas Dieu. C'est pourquoi personne ne vient l'absoudre des pêchés du monde."
Matthieu éternel rêveur et grand égoïste incapable de se prendre en charge ne voit rien venir alors que Libero fait preuve d'une plus grande clairvoyance et décide de tout arrêter parce qu'"il n'aimait pas ce qu'il était devenu". Mais lorsque la machine est lancée il est parfois impossible de l'arrêter.
"Nous ne savons pas, en vérité, ce que sont les mondes. Mais nous pouvons toujours guetter les signes de leur fin. Le déclenchement d'un obturateur dans la lumière de l'été, la main fine d'une jeune femme sur celle de son grand-père, ou lavoile carrée d'un navie qui entre dans le port d'Hippone, portant avec lui, depuis l'Italie, la nouvelle inconcevable que Rome est tombée."
Ce roman plutôt très sombre et pessimiste s'achève sur le sermon de Saint Augustin qui interroge "Depuis quand crois-tu que les hommes ont le pouvoir de bâtir des choses éternelles ? L'homme bâtit sur du sable. Si tu veux étreindre ce qu'il a bâti, tu n'étreins que le vent. Tes mains sont vides et ton coeur affligé. Et si tu aimes le monde, tu périras avec lui. " […] "Mais votre âme remplie de la lumière de Dieu ne passera pas. Les ténèbres ne l'engloutiront pas."
"Les mondes passent, en vérité, l'un après l'autre, des ténèbres aux ténèbres, et leur succession ne signifie peut-être rien."
Et finalement, le grand-père, Marcel, qui a vu s'effondrer son monde aurait-il poussé son petit-fils à sa perte en lui permettant de reprendre ce bar ?
De nombreuses questions incitées par Jérôme Ferrari, qui rappelons-le est professeur de philosophie. Un roman à la lecture finalement assez aisée même si parfois certaines références peuvent nous échapper, ce fut mon cas !