Une fois n'est pas coutume, c'est de cinéma dont il sera question aujourd'hui et plus précisément du très beau Alceste à bicyclette qui met en face l'un de l'autre deux grands acteurs : Fabrice Luchini et Lambert Wilson.
L'histoire est simple, Gauthier Valence (Lambert Wilson), acteur tombé dans la facilité des séries télé, rencontre un vif succès mais aspire à une reconnaissance plus classique et décide de se lancer dans le théâtre pour y monter une pièce qui lui tient à coeur : le Misanthrope de Molière.
Pour ce faire, à l'insu de son entourage, il se rend sur l'Ile de Ré afin de convaincre, sous prétexte d'une amitié feinte mais d'une réelle admiration pour son talent, l'acteur Serge Tanneur (Fabrice Luchini) qui, fuyant le monde et ses mensonges, s'y est installé.
Tanneur ne se laisse pas aisément convaincre et met son confrère à l'épreuve en lui proposant de travailler la pièce quelques jours avant de prendre sa décision.
Rivalité verbale pour la distribu-ti-ion, entre ces deux hommes à la grande ambi-ti-on, chacun étant Alcestes sans hésita-ti-on... (tout le monde n'est pas Molière... je ne maîtrise pas l'alexandrin).
Sur l'Ile de Ré balayée par les vents, les deux rivaux se donnent la réplique alternant à pile ou face les rôles d'Alceste et de Philinte, chacun convaincu de sa juste interprétation et de sa supériorité pour le rôle principal. La rencontre avec Francesca jeune italienne en plein divorce douloureux (Maya Sansa) offre une autre source de rivalité entre ces deux egos néanmoins sympathiques et attachants.
Tout dans ce film est dans les contrastes, le grand et élégant acteur célèbre, coiffure impeccable, manteau blanc, souliers cirés, portable en poche et édition moderne du texte de Molière en main fait face à celui qui a quitté la scène, pour se réfugier dans une maison aux murs décrépis, et se retrouve confronté à de vulgaires problèmes de fosse septique, négligé et pas rasé il braque sur son collègue un vieux Classique Larousse défraichi. Le monde clinquant des stars parisiennes face à l'authenticité de l'île, jusqu'à l'image de toute puissance que véhicule l'acteur reconnu dont on attend qu'il fasse jouer son nom auprès de ses relations.
Tout oppose ces deux mondes dont les différences frappantes ne servent qu'à dévoiler la cruauté de la nature humaine, prête à tout pour se mettre en avant. Les deux hommes se jaugent, se jugent et se rejoignent sur l'amour de la langue et du texte pour mieux s'affronter. Ils sont, comme deux allumettes approchées d'une flamme, prêts à s'embraser et ils s'embrasent effectivement, pour la langue de Molière, pour la belle Francesca, pour un rôle qu'ils rêvent de porter au sommet. Mais au final, chacun se consumme.
Un très beau film doux-amer porté par une excellente distribution. Du rire, des sourires et de l'émotion et ce plaisir de la langue de Molière qui ponctue tout le film.
" Trahi de toutes parts, accablé d'injustices,
Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices,
Et chercher sur la terre un endroit écarté,
Où d'être homme d'honneur on ait la liberté. "
Il ne reste qu'à relire Le Misanthrope !