Un tout petit livre pour un texte court et savoureux. Je ne crois pas avoir jamais rien lu de Philippe Toussaint, une lacune à combler sans doute, n'hésitez pas à me faire des suggestions.
Ici, en quelques pages, l'auteur nous fait entrer dans l'intimité de la création, dans l'intimité de l'atelier de Claude Monet, dans l'intimité des Nymphéas sur lesquels le peintre a tant et tant travaillé durant les dix années qu'il leur a consacré (1916-1926).
Je veux saisir Monet là, à cet instant précis où il pousse la porte de l'atelier dans le jour naissant encore gris.
[...]
Je veux saisir Monet là, à cet instant précis où il entre dans l'atelier, où il passe la frontière entre la vie, qu'il laisse derrière lui, et l'art, qu'il va rejoindre.
Cette phrase, en deux déclinaison (il entre, il pousse la porte) scande l'intégralité du texte et de ces neuf paragraphes qui nous font entrer à la suite de Monet, nous plonger avec lui dans le travail, nous immerger dans la couleur, nous noyer dans le doute.
Monet est à la fin de sa vie quand il se consacre aux grands Nymphéas, ceux qui habitent aujourd'hui le musée de l'Orangerie dans un espace dédié, conçu selon les volontés de Monet, pour suivre la course du soleil d'est en ouest.
Tous les matins, lorsqu'il entre dans l'atelier, Monet prend congé du monde. Il passe le seuil, et, devant lui, de l'autre côté de la porte, encore invisible, immatériel, c'est l'art qui l'attend.
Ces grandes toiles que Monet offre à la France sur l'insistance de son grand ami Clémenceau lui ont demandé beaucoup de travail alors qu'il commençait à être fatigué et que la cataracte troublait sa perception. Il terminera d'ailleurs après une opération.
Dans ce très court texte, Jean-Philippe Toussaint nous offre vraiment d'accompagner Monet dans ces heures de labeur, et c'est une réussite. Le ton lancinant, les répétitions, le rythme lent, tout concoure à nous faire entrer dans l'œuvre de Monet.
La solitude chez Monet n'est pas un retrait ombrageux, c'est une condition de son art.
Monet s'obstine, il reprend, il retouche. Monet ne lâche plus la brosse. Il pénètre toujours plus avant dans la peinture, il s'y fond, il s'y dilue. Il n'y a plus de trace de son corps terrestre, son esprit s'est dissous dans la peinture. Monet est devenu peinture. Il est devenu paysage d'eau, fluidité, onde, souffle.
Jean-Philippe Toussaint, L'instant précis où Monet entre dans l'atelier. Editions de Minuit