Marc Elder, Le Peuple de la mer - Goncourt 1913
C'est à Isabelle que je dois le plaisir d'avoir ce Goncourt 1913, je l'ai lu avec attention et émotion puisque mes ancêtres ont été ces gens de mer, la famille de mon Papa étant de Fécamp.
Au-delà de ce détail personnel, l'intérêt que nous portons Isabelle et moi à ce livre est justifié par une cause commune, il a "volé" la vedette au magnifique Grand Meaulnes d'Alain Fournier !
Jamais vote ne fut plus long, ni discussion plus confuse que le 3 décembre 1913. Onze tours de scrutin pour arriver à un résultat. Les favoris étaient nombreux : Valéry Larbaud avec A.O. Barnabooth ; Léon Werth avec La Maison blanche, roman dont Octave Mirbeau avait écrit la préface ; Gaston Roupnel avec Le Vieux Garain ; George Pioch avec Les Dieux de chez nous ; Riocciotto Canudo, avec les Transplantés et, surtout, Alain-Fournier avec Le Grand Meaulnes qui obtint cinq voix au neuvième tour.
Si je vous donne la liste des différents candidats au prix, c'est évidemment pour vous interroger. Qui parmi ces noms est connu de vous ? Je n'ai pour ma part jamais entendu parler d'aucun d'entre eux, à l'exception d'Alain-Fournier bien sûr.
A l'avant-dernier tour, Léon Werth avait cinq voix, Alain-Fournier quatre et Valéry Larbaud une ; au dernier tour, Léon Wert deux, Valéry Larbaud une, Gaston Roupnel une et Marc Elder six.
Pourquoi au lieu de voter avec autant d'insouciance et de machiavélisme, les Dix ne tirent-ils pas leurs élus à la courte-paille ? demanda le lendemain, l'Intransigeant.
Nous tenons ces précisions de Chronique de l'Académie Goncourt par Léon Deffoux aux Editions Firmin-Didot en 1929.
Léon Deffoux nous informe ensuite que l'action se déroule à Noirmoutier et que le récit s'articule autour de trois parties.
1- La Barque
2- La Femme
3- La Mer
L'ouvrage tient davantage du recueil de nouvelles que du roman. Trois histoires de marins, de rivalités sur l'eau ou auprès des femmes, mais un seul destin : la mer.
D'une histoire à l'autre, nous retrouvons un village - l'Herbaudière sur l'île de Noirmoutier - des familles, des bateaux, ils sont le fil conducteur.
Quelquefois, cependant, la mer s'allume au passage du canot, se trouve en minces bourrelets de cristal bleu et déploie à l'arrière un éventail de pierres précieuses où opales, turquoises, et lazulites jonglent autour de l'aviron, éclatent, s'éteignent, sombrent, rejaillissent et meurent à l'air dès qu'on les soulève avec la rame comme une pelletée de lumière.
Ce texte à la lecture facile et agréable offre un beau moment de lecture, c'est à la fois rude et sensible, bien documenté, on sent que Marc Elder - Marcel Tendron (1884-1933) de son vrai nom - connaît ce monde des pêcheurs, non pas en tant qu'acteur mais en observateur. J'ai omis de préciser qu'il était Nantais de naissance. Critique et historien d'art, conservateur du château des Ducs de Bretagne à Nantes, c'est un homme cultivé.
Je n'entrerai pas dans le détail des différentes histoires, un petit goût de sel qui fait inévitablement penser à Pêcheur d'Islande de Pierre Loti, paru en 1886, et qui est aussi un de ces livres qui m'accompagnent depuis longtemps, c'est peut-être pour cela que Le Peuple de le mer m'a semblé familier, en un peu plus fade.
Néanmoins, une lecture que je vous conseille si vous aimez la mer et les embruns et ne redoutez aucune tempête !
Revenons au contexte et aux concurrents ! Pierre Assouline, dans Du côté de chez Drouant nous dit que la même année " Roger Martin du Gard veut le Goncourt pour son roman Jean Barois ". Il n'apparaît pas dans la liste citée précédemment, probablement parce qu'il n'a pas retenu l'attention des jurés.
Un autre écrivain aurait pu être candidat au prix en cette année 1913, c'est Marcel Proust qui se demande s'il va faire campagne pour son roman Du côté de chez Swann qui reçoit quelques timides encouragements. Il renoncera finalement après avoir sondé le terrain.
Le vote, vous l'aurez compris aura été très indécis, et nombre de commentateurs de ce prix n'hésitent pas à dire que les jurés n'auraient pu faire plus mauvais choix. Pauvre Marc Elder, l'histoire ne dit pas comment il a pris la chose, avec recul j'espère !
Marc Elder n'est peut-être pas le plus méritant mais il est tout de même juste que le prix lui ait été attribué. Il a du talent et de plus son choix répond au désir des Goncourt qui voulurent que le prix revînt autant que possible à un écrivain jeune et peu fortuné.