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Les musardises de ParisiAnne

Les musardises de ParisiAnne

Culture, littérature et découvertes. © Les musardises de ParisiAnne


Ce que le jour doit à la nuit, Yasmina Khadra

Publié par Parisianne sur 24 Février 2015, 18:59pm

Catégories : #lecture

Ce que le jour doit à la nuit, Yasmina Khadra

 

Ce que le jour doit à la nuit est le premier livre de cet auteur que je lis, et dès les premières pages, Yasmina Khadra m'a aspirée tant son écriture est belle et imagée. Le livre est un chant d'amour à l'Algérie dont on découvre toute la rudesse et la fragilité, toute la beauté et la violence, toute la fierté.

"Accroupi sur un amas de pierraille, les bras autour des genoux, il regardait la brise enlacer la sveltesse des chaumes, se coucher dessus, y fourrager avec fébrilité. Les champs de blé ondoyaient comme la crinière de milliers de chevaux galopant à travers la plaine. C'était une vision identique à celle qu'offre la mer quand la houle l'engrosse. Et mon père souriait. Je ne me souviens pas de l'avoir vu sourire ; il n'était pas dans ses habitudes de laisser transparaître sa satisfaction..."

Younes, le narrateur qui deviendra Jonas, est un enfant sensible dont la vie bascule le jour où son père doit se résoudre à quitter ses terres agricoles pour rejoindre Oran.

"Je me souviendrai toute ma vie de ce jour qui vit mon père passer de l'autre côté du miroir. C'était un jour défait, avec son soleil crucifié par-dessus la montagne et ses horizons fuyants. Il était environ midi. J'avais l'impression de me dissoudre dans un clair-obscur où tout s'était figé, où les bruits s'étaient rétractés, où l'univers battait en retraite pour mieux nous isoler dans notre détresse. "

Le jeune garçon abandonne la sérénité de sa vie campagnarde avec le même arrachement qu'il doit abandonner son chien. Dans la ville, il découvre la densité de la foule et la solitude. L'acharnement de son père pour sortir sa famille de la misère devient vite inutile, si bien qu'il finit par se résoudre à abandonner Younes à son frère aîné, pharmacien marié avec une chrétienne et n'ayant pu avoir d'enfant. C'est ainsi que Younes devient Jonas et s'éloigne peu à peu de ses origines, abandonnant à son tout sa mère et sa petite soeur. 

Le goût prononcé de l'oncle pour les beaux esprits indépendantistes lui vaudra quelques difficultés qui le conduiront à fuir la ville pour Rio Salado. C'est là que Jonas va grandir entouré des jeunes colons de son âge (toutes confessions confondues) dont il est très proche tout en restant silencieusement fidèle à son peuple.

Lorsque la guerre éclate, les tensions entre les jeunes gens , déjà exacerbées par la rivalité auprès des filles, se font plus grandes. Jonas, qui a eu une aventure initiatique sans lendemain avec une femme mûre, se trouve pris au piège de ses sentiments et de son éternel mutisme. Sa douleur se prénomme Emilie et l'accompagnera jusqu'à l'extrême fin de sa vie. En plus de cet amour impossible, il reste aux yeux de tous "l'Arabe" qui ne peut comprendre et qui surtout ne prend pas parti.

"L'hiver 1960 fut si rude que nos prières gelaient ; on les aurait entendues tomber du ciel et se fracasser au sol tels des glaçons. La grisaille alentour ne suffisant pas à obscurcir nos pensées, de gros nuages se mettaient de la partie ; ils se jetaient comme des faucons sur le soleil, bouffant sous nos yeux les rares rayons du jour censés apporter un soupçon d'éclaircie à nos esprits engourdis. Il y avait plein de tourments dans l'air ; les gens ne se faisaient plus d'illusions : la guerre se découvrait une vocation, les cimetières des ailes dérobées. "

Comment trouver sa place lorsque l'on est né algérien pauvre puis élevé parmi les colons, dans une belle maison, avec un accès à l'éducation, à des études supérieures ? Comment soutenir son peuple et ne pas voir son coeur saigner devant le meurtre de ses amis les plus chers ?

Et lorsque l'on a grandi sur une terre que plusieurs générations ont fait naître à elle-même, comment ne pas être terriblement meurtri d'en être chassé ? 

Des questions. Pas de réponse. L'accusation et la défense parlent toutes deux avec le coeur. 

La guerre aura les suites que nous lui connaissons, les blessures seront terribles et pourtant, l'amitié aussi profondément ancrée que la terre dans le coeur des protagonistes les fera revenir les uns vers les autres.

Ce roman est un cri d'amour pour un pays mais c'est aussi l'histoire d'un amour impossible, un amour brisé par un serment et par la fierté d'un jeune homme qui ne reniera jamais sa parole donnée. Jonas-Younes, Younes-Jonas, dont on peut parfois déplorer la passivité mutique, porte en lui la fierté de son peuple, la fierté de son père qui n'a jamais courbé l'échine mais il porte aussi comme un fardeau ses deux prénoms qui l'attachent à deux mondes que l'Histoire oppose.

 

 

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M
J'avais bien aimé aussi ;)
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Q
Tu donnes envie de le lire... c'est un auteur que je n'ai pas eu encore l'occasion de découvrir.<br /> Merci, Anne.<br /> Bises et douce journée.
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E
Merci Anne pour cette remise en mémoire d'un livre qui m'avait touché il y a quelques années. L'Algérie bien sur dont on ne sort jamais indemne, tant la terre de ce pays a les couleurs du sang. Et puis le thème de l'enfance brisée par une nécessaire errance. Enfin, l'écriture de l'auteur dont les syncopées sont autant d'appels à la vie malgré tout.
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É
Merci pour ton ressenti sur ce livre. Je ne suis pas trop tentée...
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J
J'ai beaucoup lu Khadra ..forcément il est d'Algérie! Ce roman m'a particulièrement touchée comme tu peux l'imaginer.<br /> Au sujet du prénom féminin, c'est celui de sa femme, pseudo qu'il a utilisé étant un colonel de l'armée algérienne!! <br /> Bonne fin de journée
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