J'ai trois prénoms. Marie, Madeleine, Frida.
Un qui dissimule. Un qui protège. Un qui révèle.
[...]
Je ne suis Marie que parce qu'il y a eu Madeleine et Frida. Frida puis Madeleine. Madeleine avec Frida. Ces deux femmes sont les mères de mon père.
La biologique, Frida et l'adoptive, Madeleine.
Leur prénom m'ont été donnés dans un ordre inversé. Madeleine devant Frida. Celui qui protège en premier. Celui qui révèle, qui trahit les origines, ensuite.
Ainsi s'ouvre ce très beau récit d'une quête d'identité familiale.
Lorsque, pour ses treize ans, son père l'invite au restaurant en tête à tête pour lui avouer un secret bien gardé, la vie de la narratrice bascule vers un besoin de comprendre, de savoir et de connaître l'histoire des siens que l'on devine, dès les premiers mots, liée à la grande et tragique histoire de la Seconde Guerre Mondiale mais imprégnée du poids du silence, ce silence qui sauve autant qu'il écrase.
Son passé restait un secret. Et il m'y avait fait entrer, me l'avait offert. Un cadeau étrange, insaisissable.
Suite à cette révélation, l'auteure n'a de cesse de comprendre mais elle se heurte au mutisme de son père qui ne distille que ponctuellement quelques éléments ténus, donnant à ses enfants (Thomas et Marie, des jumeaux) un fil très mince pour remonter le temps.
A la mort de ce dernier, Marie hérite d'une enveloppe qui lui ouvre les portes de son histoire. Elle se lance dans une quête pour savoir et assimiler ainsi la réalité qui se cache derrière des années de silence.
S'ouvre alors à elle le récit tourmenté de sa famille marquée par les persécutions, depuis l'Ukraine en 1898, année de naissance de Kogan, le grand-père, jusqu'à au Convoi n°46 du 9 février 1943, parti de Drancy vers Auschwitz-Birkenau.
Et au cœur de ces drames, des histoires d'amour s'enlacent, un chassé-croisé qui aura au final pour seul objectif de sauver l'enfant.
Cette gêne que j'ai souvent à ne pas habiter mon présent, ce sentiment d'appartenir à un passé que je n'est pas vécu, mais qui me semble parfois aussi familier qu'aujourd'hui.
La sobriété de l'écriture rend ce récit poignant, on suit avec attention le cheminement de l'auteure qui au-delà du besoin de savoir, cherche à reconstruire sa propre histoire à travers celle de son père et de ses quatre parents afin d'offrir à ses propres filles leurs racines empruntes de tragédie mais toutes tournées vers l'avenir.
Alors que son père lui avait fait promettre de taire ses racines juives, Marie de Lattre dévoile son histoire familiale pour n'être enfin comme l'aurait dit Verlaine "ni tout à fait la même ni tout à fait une autre".
Il le peignit comme d'autres parents embrassent et cajolent. Le serra dans ses bras sans effusions mais en couleurs.
C'est un bien bel adieu.
Au-delà du drame de la Shoah, ce livre est une véritable quête d'identité pour une jeune femme d'aujourd'hui qui apprend soudain que son nom n'est pas le sien, qu'elle ne transmettra pas à ses filles le patronyme familial oublié pour sauver son père enfant de la barbarie.
La question de la transmission est centrale, et très riche. Peut-on grandir sans ombres lorsque l'on ne connaît pas son histoire ? Je présume que dès qu'un doute s'installe, le besoin de savoir s'impose.
Mais la seconde question qui se profile à la fin du récit, est également très forte. Et j'ai été très touchée par l'évocation du nom donné à la naissance des filles de l'auteur. Elles porteront le nom de leur père et exclusivement celui-là, pour que les deux patronymes si intimement liés par la force de l'amour dans la tragédie disparaissent ensemble et que les filles regardent vers l'avenir.
Un très beau livre écrit avec une grande et belle sincérité.
Il n'a pas été déporté. Ai-je droit à la parole ? Ma génération n'est même pas celle des survivants. Pourquoi souffrirais-je de la Shoah ?