Niki de Saint Phalle "Il faut faire saigner la peinture"
Niki de Saint Phalle, "Il faut faire saigner la peinture !", tel est le titre de la très intéressante biographie de l'artiste écrite par Elisabeth Reynaud aux éditions Ecriture.
Merci à Xavier, de l'Agence Attitude, de m'avoir envoyé ce livre. Je ne suis pas certaine que j'aurais eu toute seule l'idée de le lire, je serais passée à côté de quelque chose.
***
Alors que la monstruosité a frappé à Paris, et réduit au silence des dessinateurs, des artistes de la vie et de l'expression libre, et qu'une image court sur le net pour dire " c'est l'encre qui doit couler, pas le sang ", ce titre " faire saigner la peinture " a une résonnance bien particulière.
Nous saignons tous aujourd'hui face à cette barbarie.
Quelques heures après ce terrible attentat, j'étais à une lecture du Chef d'Oeuvre inconnu de Balzac au musée Rodin. Charles Gonzalès et Jean-Claude Drouot ont bien sûr exprimé leur douleur, ce dernier a émis le souhait que l'art soit le vecteur de la paix.
Puisse ce voeux être exaucé, et l'art transmettre la lumière.
***
Niki de Saint Phalle est souvent plus connue pour ses Nanas, personnages hauts en couleurs et en rondeurs que pour l'ensemble de son oeuvre souvent marqué par la violence et l'engagement féministe entre autre. Mannequin, sculpteur, peintre, écrivain mais également cinéaste, toute sa vie, elle a créé pour s'exprimer avec violence parfois, poésie ou candeur dans d'autres moments.
Fille de la noblesse, franco-américain, Niki sera en rupture permanente avec son milieu et avec sa famille ; victime de viol par son propre père et du silence de sa mère, elle n'aura de cesse de se battre par l'art pour exorciser cette douleur.
" Elle a compris que la peinture est sa botte secrète contre le mal. Quand elle peint, elle est maître de son destin, elle reprend le gouvernement de son âme en vrac. " écrit Elisabeth Renaud. Et de fait, la peinture de Niki de Saint Phalle est non seulement une explosion de couleurs qui tendent à la vie mais aussi l'expression d'une vraie violence, d'une grande souffrance que la jeune femme semble garder en respect par la puissance expressive et pourtant naïve de ces créations.
Sa rencontre avec l'artiste Jean Tinguely lui apportera le complément de folie qui lui manquait peut-être !
"Jean et Niki se prennent pour Bonnie & Clyde, s'admirent l'un l'autre, jouent à se faire peur, car Jean peut être violent et Niki, dans ce cas, feint la soumission. Elle est très belle, Tinguely est foncièrement amoureux, c'est une passion érotique intense, mais ils n'entreront jamais dans le costume abhorré du couple traditionnel. Tinguely ne tarit pas d'éloge sur sa compagne. (...) Il aime sa force, connnaît ses blessures, la trouve virile et féminine à la fois." nous dit l'auteur qui cite ensuite ces propos de Jean Tinguely en 1988 " Niki est un monstre sacré. C'est une calamité... Elle a une énergie colossale et sait s'en servir. C'est parfois écrasant. (...) Niki de Saint Phalle est le plus grand sculpteur de tous les temps... Face aux hommes sculpteurs couchés, César la Couille, Arman la Valise, Tinguely la vieille ferraille pourrie, Giacometti, Henry Moore, les bronzeurs, tous des escros culturels, parasites, Niki de Saint Phalle sort en grand vainqueur, puissante et libre, propre et folle, dingue et forte, superbe et sensible, écrasant tous ces petits mecs, Michel-Ange and Co." Elisabeth Reynaud d'ajouter "Pour Michel-Ange ça reste à voir, mais le portrait est si poignant qu'on en reste coi." Je dirais moi-même, ah l'amour ! ça rend parfois aveugle (non que j'admire le travail de Niki, attention) mais aussi grandiloquent !
Avec aussi Rico Weber, compagnon de route et sculpteur lui-même, Niki ne cessera de créer, de se battre pour parvenir à exprimer tout ce qu'elle a en elle et parvenir à offrir des oeuvres monumentales dont le Jardin des Tarots en Toscane est presque l'oeuvre ultime puisqu'il ouvrira en 1998 alors que Niki s'éteindra en 2002.
Dans cette belle biographie, Elisabeth Reynaud nous fait pénétrer l'univers intimement artistique de Niki de Saint Phalle, elle ne cache ni son admiration, ni sa reconnaissance pour l'artiste qui a ainsi su explorer les méandres de sa conscience pour en extraire le meilleur.
J'aime cette forme de conclusion dans les dernières pages du livre :
" Sans chercher de signification intellectuelles, on reçoit par les yeux une immense claque, d'amour et de beauté fantasque. Un parfum de liberté sans entraves et de folie puérile, comme une grande douche de merveilleux sur nos âmes en pénitence.
Niki a voulu nous offrir des jouets fantastiques, si démesurés, que l'on se retrouve devant tels des tout-petits émerveillés. Il fallait bien que ces sculptures soient gigantesques pour que nous retrouvions nos âmes d'enfants. "
Il faut que nos âmes d'enfants sachent voir et montrer les couleurs pour lutter contre la violence, la barbarie et ne pas sombrer dans la noirceur.
***
Un livre à lire absolument pour pénétrer plus avant le monde si particulier de Niki de Saint Phalle, la lecture en est plaisante et aisée, très documentée avec de nombreuses citations tirées des écrits de Niki elle-même. Merci Xavier, merci Elisabeth Reynaud de m'avoir ouvert les portes de cet univers là dont je ne connaissais presque que les Nanas et autres personnages aussi chaleureusement fantaisistes. Je n'aurai plus le même regard sur son oeuvre.
Et j'espère compléter prochainement par mes impressions sur l'exposition qui se tient en ce moment au Grand Palais.
Les photos ci-dessous ont été prises par un groupe de voyageurs en visite au Japon dans l'île de Naoshima, je les remercie de leur contribution.
Oeuvres de Niki de Saint Phalle dans l'île de Naoshima au Japon
A propos des Tirs c'est ici
"J'ai tiré sur des tableaux parce que tirer me permettait d'exprimer mon agressivité. Un meurtre sans victime. J'ai tiré parce que j'aimais voir le tableau saigner et mourir. "
Niki de Saint Phalle