Caprices, Marguerite Duras
Il ne vous aura pas échappé que l'année 1914 ne commémore pas simplement la tragédie de la Première Guerre Mondiale. Dans un registre moins dramatique, ceux qui s'intéressent à la littérature auront bien entendu noté les hommages rendus à Marguerite Duras - pseudonyme de Marguerite Donadieu le 4 avril 1914- à l'occasion du centenaire de sa naissance.
L'Association Textes et Voix ne pouvait manquer cet événement littéraire, nous avons donc eu le plaisir d'entendre une lecture d'un texte inédit, attribué à Marguerite Duras, Caprices, écrit en 1943 comme un texte "alimentaire" et publié l'année suivante aux Editions Nicéa dans la collection Visages de femmes, série de romans à l'eau de rose non signés par les auteurs. Voilà donc la raison qui explique que Caprice ne sera pas édité et qu'il n'apparaît pas dans l'intégrale de l'oeuvre de Duras aux éditions La Pléiade. S'il n'est pas accessible à tous, ce texte se dévoile par la voix, c'est Marie-Christine Barrault qui nous en a offert une très belle lecture.
Présenté (à tort) comme un roman de gare, ce texte -qui montre effectivement quelques travers de midinette- n'en est pas moins intéressant et s'il n'atteint pas la qualité de l'écriture de Duras, il laisse entrevoir de belles perspectives. J'ai pour ma part eu la tentation de le rapprocher de Moderato Cantabile, ce roman très fort paru en 1958.
Je ne vous fais pas languir plus longtemps, voici un petit résumé de l'histoire.
Bernard et Babeth, mariés depuis deux ans, sont en vacances à Biarritz avec la mère et le frère de cette dernière. Alors que ses proches partent pour une excursion, Babeth refuse de les suivre. Elle passe la journée sur la plage où elle aperçoit (par hasard) un jeune homme qui après avoir beaucoup nagé s'allonge non loin d'elle. Troublée par cette présence, elle n'a de cesse de se faire remarquer par lui, sans arrière pensée, juste parce qu'elle est femme et que ce n'est pas parce qu'elle est mariée qu'elle n'a pas le désir de plaire. Ils ne s'adressent pas la parole, se regardent à la dérobée ; rentrée à l'hôtel, Babeth confie son émoi inexplicable à son journal. Elle rencontrera de nouveau le jeune homme en se rendant à la foire pour y chercher des sucres d'orge, le trouble sera plus grand encore.
A quelques jours du retour à Paris, le couple va passer une soirée au casino. L'apparition est là, Bernard lui autorise une danse avec son épouse, ce mari très sûr de sa possession et fier de la beauté de sa compagne n'a aucune raison d'être jaloux voir même méfiant. Il aime Babeth, Babeth l'aime, il n'a pas grand chose à lui dire en dehors de l'évocation de ses affaires professionnelles et de son amour sincère, mais leur vie est parfaite.
Bernard s'absente une semaine pour se rendre, seul, chez sa mère. Babeth ne peut s'empêcher d'appeler le numéro de téléphone parisien que lui a confié le jeune homme au cours de leur danse. Irrésistiblement attirés l'un par l'autre, ils deviennent amants le temps de quelques jours. Celui dont nous apprenons qu'il s'appelle Jean repartira pour Biarritz au jour du retour de Bernard.
En quittant son amant, Babeth, effondrée, se demande comment elle va pouvoir reprendre sa vie auprès de son mari. Mais lorsque celui-ci la serre dans ses bras, " Elle pense qu'elle pourra rester avec lui, qu'elle est maintenant en règle avec la vie ".
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L'histoire, vous en conviendrez est assez banale et son traitement dévoile une écriture rapide, sans recherche attentive. Malgré tout, et la salle hier était quasi unanime, il y a de l'esprit durassien dans ces lignes, une richesse de l'analyse des sentiments. Il est aussi très surprenant de se dire que ce texte assez osé est paru en 1944, Marguerite Duras a toujours osé quelques provocations dans sa façon de traiter de sujets humains, c'est ce qui fait d'elle peut-être la plus accessible des auteurs apparentés au Nouveau roman ?
Et pour conclure, cette citation extraite de Marguerite Duras, La passion suspendue, entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre, au Seuil, entretiens avec une jeune journaliste italienne traduits par René de Ceccatty dont je vous conseille la lecture.
"Leopolidina : Quelle est selon vous la tâche de la littérature ?
Marguerite Duras : De représenter l'interdit. De dire ce que l'on ne dit pas normalement. La littérature doit être scandaleuse : toutes les activités de l'esprit, aujourd'hui, doivent avoir affaire au risque, à l'aventure. Le poète même est en soi ce risque même, quelqu'un qui contrairement à nous, ne se défend pas de la vie. (...) "
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