Ce n'est pas le premier livre de Véronique Ovaldé que je présente ici puisqu'il y a quelques temps j'avais parlé de La salle de bain du Titanic, mais je me surprends moi-même de n'avoir jamais parlé ni Des vies d'oiseaux, ni de Ce que je sais de Vera Candida. Vous me pardonnerez cette carence mais comprendrez par là que je suis assez familière de cette auteure à l'écriture aussi envoûtante que déstabilisante.
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Contrairement à nombre de ses romans, Véronique Ovaldé dans La grâce des brigands, cite explicitement les lieux ; l'auteur nous emmène ici de la froide Lapérouse dans le grand nord Canadien à la bouillonnante cité des anges, Los Angeles, deux cités pour deux vies.
Maria Cristina a 17 ans lorsqu'elle quitte sa famille pour intégrer l'Université de Los Angeles. Ce n'est pas un départ pour faire des études, c'est une fuite, une façon d'échapper à une famille désunie, à une mère bigote au bord de la folie, un père résigné et surtout, un moyen de fuir la culpabilité ; Maria Cristina porte la responsabilité de la chute de sa soeur qui fait basculer cette dernière dans "l'impossibilité de dépasser l'âge mental d'une adolescente".
Ce n'était pourtant qu'un accident, "Et ce ne fut sans doute que cela : un jour de printemps ; un jour de congé ; une excursion en forêt de Chamawak ; de la terre meuble à cause des pluies d'avril ; des pierres qui roulent ; une fille qui crie, qui dégringole et qui se tait ; une autre fille pétrifiée.
Meena avait fini sa chute la tête posée sur un gros rocher de granit au milieu de la neige qui fondait dans un joli bruit de gouttière percée. On aurait cru qu'elle se prélassait là afin de profiter des petites taches de soleil qui traversaient les feuillages."
L'atmosphère familiale déjà pesante devient plus lourde encore.
"Maria Cristina avait compris que le plus simple, et la garantie de sa survie (elle n'y allait pas de main morte avec la grandiloquence) en un terrain aussi hostile que sa famille, serait de plaire à chacun. Mais le système ne fonctionnait jamais avec sa soeur qui l'asticotait et lui répétait sans cesse, Je sais tout de toi, je suis la seule à tout savoir de toi. (...)
C'était une famille où la méfiance était de mise."
Pourtant, quand après des années sans nouvelles, Maria Cristina reçoit un appel téléphonique de sa mère lui demandant de venir chercher Peeleete, le fils de sa soeur, celle qui est devenue un écrivain à succès s'empresse de prendre la route. "Alors, il est bien évident que ce n'est pas pour répondre à l'appel de sa mère que Maria Cristina s'est rendue en juin 1989 à Lapérouse mais bien plutôt à cause de l'attachement qu'elle avait envers sa soeur, un attachement silencieux, entravé, vrillé, mais assez fort pour qu'il pût lui faire quitter son refuge californien et aller à la rencontre du petit Peeleete."
A l'instant ou Maria Cristina a décidé de partir, la trame de ses années d'errance se déroule par la voix d'un narrateur inconnu qui dès la première phrase nous indique que l'histoire est passée "Maria Cristina Väätonen, la vilaine soeur, adorait habiter à Santa Monica.". On ignore qui parle, un journaliste qui retrace le parcours de l'écrivain, l'auteur omniscient, Peeleete devenu adulte ? Impossible de savoir. Mais le parcours de la jeune femme se dessine pour nous, de son enfance -où seuls les livres sont un refuge grâce à la complicité de son père (imprimeur illétré)- à la publication de son premier livre autobiographique, La Vilaine soeur, dans lequel elle raconte sa famille et sa culpabilité. Maria Cristina devient la colocataire d'une fille mère déséquilibrée, la secrétaire et amante d'un écrivain en attente du Nobel qui monnaiera pour son propre compte l'édition du roman inattendu de cette très jeune femme puis la compagne improbable d'un chauffeur de taxi.
Hésitant entre humour et gravité, ce roman est un roman de la solitude, les personnages même réunis paraissent terriblement seuls et livrés à leurs démons (une enfance malheureuse, un sentiment de culpabilité, l'attente du succès).
On retrouve dans ce dernier roman des thèmes chers à Véronique Ovaldé, la solitude et la fuite mais aussi les rapports douloureux à la mère, le viol et dans une certaine mesure des rapports difficiles aux hommes. Je reconnais avoir eu parfois un sentiment de "déjà lu" mais cela n'a en rien nuit à ma lecture. Le style très particulier de l'auteure rend ses romans envoûtants, on se laisse prendre par ses très longues phrases dans lesquelles le discours direct se mêle à la narration.
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Véronique Ovaldé, La grâce des brigands, Editions de l'Olivier