Sylvain Tesson, Notre-Dame ô reine de douleur
L’effroi, c’est l’impensable mêlé au sublime. Les images du brasier sont belles. Beauté horrifique, gravure en fusion de Gustave Doré.
Le 15 avril dernier, nous assistions consternés et impuissants à l’embrasement de Notre-Dame.
Au lendemain de cette tragédie - je sais, il n’y a pas mort d’homme - tout et n’importe quoi a été dit, redit et commenté et re-commenté pour notre goût de la polémique et du sensationnel.
Voir Notre-Dame meurtrie reste pour moi une souffrance. Je passe souvent devant, je l’ai photographiée cent fois, j’y suis entrée à plusieurs reprises, en touriste, pour des offices, un concert, un mariage et la dernière fois, avec ma maman, pour admirer les cloches.
Je crois à la mémoire des pierres. Elles absorbent l'écho des conversations, des pensées. Elles incorporent l'odeur des hommes. Les pierres sauvages des grottes et les pierres sages des églises rayonnent d'une force mantique. On est toujours saisi quand on pénètre sous une voûte de pierre qui a abrité les hommes.
En lisant le livre de Sylvain Tesson paru aux éditions Équateurs (bénéfices reversés à la Fondation du Patrimoine), j’ai été touchée par les mots de cet homme que j’admire.
Notez en passant cette magnifique autodérision de celui qui, victime d'un accident, souffre aujourd'hui d'une paralysie faciale
"Les portraits de Picasso consolaient les sujets atteints de paralysie faciale. Les premiers signifiaient aux seconds que la laideur peut irradier une force".
Mais revenons à Notre-Dame. Sylvain Tesson, a eu pour activité la stégophilie (passion pour l'escalade des toitures), c'est je crois ce qui lui a valu cet accident qui l'a laissé meurtri. Il a donc escaladé Notre-Dame, entre autres monuments, apprivoisé les hauteurs, rencontré la faune et la flore des sommets mais aussi les travailleurs de l'ombre, les Compagnons du devoir chargés de certains travaux. On pourra s'interroger sur ce drôle de passe-temps mais j'ai aimé lire "Nous grimpions parce que c'était beau et plus utile à nos âmes que de reposer notre corps dans un lit".
Dans un premier texte écrit dans les années 2000, l'auteur explique sa passion, ses rencontres et la beauté des lieux, notamment l'art de faire tenir la "forêt" cette charpente en châtaignier sans aucun clou qui était celle de Notre-Dame. Le second texte de 2015 explique comment monter par le chemin officiel dans les tours de la cathédrale l'a aidé à se reconstruire physiquement après son accident,, le dernier date de la nuit de l'incendie et se termine sur ses mots :
Peut-être un peuple va-t-il se porter au chevet de sa reine ? Peut-être va-t-il se souvenir qu'il n'est pas né d'hier ? Mais peut-être rien ne changera-t-il et continuerons-nous à nous espionner les uns les autres, à nous haïr, à nous conspuer.
Alors on se dira que la flèche a bien fait de se retirer.
J'aimerais pouvoir dire comme Gérard de Nerval dans son poème Notre-Dame de Paris (Odelettes, 1834) :
" — Alors ils croiront voir la vieille basilique,
Toute ainsi qu’elle était, puissante et magnifique,
Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort ! "