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Les musardises de ParisiAnne

Les musardises de ParisiAnne

Culture, littérature et découvertes. © Les musardises de ParisiAnne


Sorj Chalandon, L'Enragé

Publié par Parisianne sur 4 Octobre 2023, 10:43am

Catégories : #Lecture

Sorj Chalandon, L'Enragé

Je n'ai pas droit aux sentiments. Les sentiments c'est un océan, tu t'y noies. Pour survivre ici, il faut être en granit. Pas une plainte, pas une larme, pas un cri et aucun regret. Même lorsque tu as peur, même lorsque tu as faim, même lorsque tu as froid, même au seuil de la nuit cellulaire, lorsque l'obscurité dessine le souvenir de ta mère dans un recoin. Rester droit, sec, nuque raide. N'avoir que des poings au bout de tes bras. Tant pis pour les coups, les punitions, les insultes. S'évader les yeux ouverts et marcher victorieux dans le sang des autres, mon tapis rouge. Toujours préférer le loup à l'agneau.

Sorj Chalandon, L'Enragé

De Sorj Chalandon, je n'ai lu que Enfant de salaud que j'avais beaucoup aimé mais je connais finalement très peu cet auteur. En lisant les premières pages de cet Enragé, j'ai pensé un moment que je ne serais peut-être pas capable d'aller au bout tant la violence m'a prise à la gorge. C'était sans compter sur le talent de l'auteur qui nous embarque de la première à la dernière ligne en nous faisant passer par toutes les émotions, à commencer par la colère, le dégoût, la révolte.

Tuer pour de faux était ma respiration. Ma stratégie pour survivre.

Sorj Chalandon, L'Enragé

Jules Bonneau - un nom qui pourrait faire croire à un destin écrit d'avance - a treize ans lorsqu'il est conduit à Haute-Boulogne, la colonie pénitentiaire de Belle-Ile-en-mer, lieu maudit qui cache à peine son statut de bagne pour enfants et où certains n'ont pour seul crime que d'être orphelins ou d'avoir volé pour manger. Là, toutes les brutalités, les sévices, les tourments sont le lot quotidien de ces enfants perdus que l'administration pénitentiaire vend aux îliens contre des travaux des champs ou autres tâches.

Un seul rêve en tête, partir ! mais comment s'échapper quand on a l'océan pour prison ?

Dans ces journées toujours sombres, quelques lueurs d'espoir pour tenir, du médecin à l'infirmière aussi protecteurs que possible, à quelques liens fragiles mais tissés sur le roc.

Nous étions deux contraires. Moi les poings, lui l'esquive. Je hurlais, il chuchotait. Lui l'ombre, moi la lumière. Nous ne nous devions rien. Mais à sa manière, chacun protégeait l'autre. Une alliance de survie. Presque une amitié.

Et puis un jour, un coup de trop sur celui qui en mérite le moins, et c'est l'embrasement, la révolte, l'explosion de colère qui conduit cinquante-six colons à fuir. Un sentiment de liberté qui ne durera que quelques heures, les bonnes gens de l'île se chargeront de ramener ces vauriens à la prison dont ils n'auraient jamais dû sortir, et puis 20 francs le gosse, ça motive...

Un seul aura la chance d'une main tendue autrement que pour cogner. 

La bataille suivante sera intérieure, comment ne pas crier vengeance, comment ne pas rendre les coups et les morsures à la première occasion ? Comment apprendre à vivre, à faire confiance quand on n'a connu que la violence pour survivre ? C'est un chemin difficile, une ligne de crête sur laquelle l'équilibre est précaire, une lutte dans laquelle l'auteur nous plonge avec force.

Nous étions de l'autre côté. Nous venions de nous évader. C'était fait. Jamais dans mes rêves, je n'avais senti la terre sauvage sur ma peau. Et maintenant ? [...] Depuis le réfectoire, moi et tous les autres nous étions comportés comme des enfants rêveurs. Il y avait de la joie dans chacun de nos gestes? Pas seulement de la colère ou de la haine, aussi de l'exaltation, de l'enthousiasme, une ivresse naïve. Tout devenait possible, alors que rien ne l'avait jamais été.

Voilà donc un roman puissant, qui nous plonge dans une époque et surtout dans une manière assez peu glorieuse de traiter le problème des enfants perdus. Je ne connaissais pas ces bagnes pour enfants, on parle plus volontiers d'institutions, religieuses ou non, qui se chargeaient de l'éducation avec des manières souvent très violentes.

L'écriture de Sorj Chalandon rend magistralement toutes les émotions, c'est vraiment beau. Et là encore, il est effarant de lire la prédisposition de l'homme à la haine, trop souvent alimentée par la peur.

Sorj Chalandon, L'Enragé chez Grasset

J'ai fermé les yeux. J'étais heureux, fier, malheureux et triste, tout cela à la fois. Je n'avais pu ni sauver Camille, ni aucun de mes camarades de captivité.
Au fond de mon ventre, j'ai senti la colère.

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C
je ne connais pas cet auteur et donc ses autres livres mais celui ci me tente vraiment<br /> je vais le noter<br /> merci beaucoup de tes coms chez moi c'est très gentil<br /> douce soirée<br /> bisous<br /> patricia
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P
J'ai lu deux Chalandon : un que j'ai aimé et l'autre pas du tout ! <br /> Celui-ci, je l'ai vu à la télé. Il était bien présenté et tentant. Je le lirai, c'est sûr. La question est : "Est-ce que j'attends sa sortie en poche"?
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V
je ne connais pas cet auteur, tu donne envie de découvrir ce livre. gros bisous Anne. cathy
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Y
Un sujet sensible mais intéressant, je le note sur mes tablettes. A+
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M
Je l'ai déjà noté !! Bien entendu que je le lirai j'aime l'écriture de cet auteur, mais j'attendrais qu'il soit disponible à la médiathèque. A l'inverse de toi je savais que ces "bagnes" pour enfants et adolescents existaient mais pas qu'ils avaient existé aussi tardivement. Merci pour ta chronique. Bises
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P
Je viens d’écouter Sorj Chalandon dans la Grande Librairie. Fermeture en 77, on ne peut pas imaginer…

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