21, rue La Boétie
Ce n'est pas dans un salon que nous sommes conviés au Musée Maillol mais dans une galerie d'Art, plus précisément dans la Galerie de Paul Rosenberg (1881-1959), ce collectionneur averti et habile marchand.
A partir du livre éponyme d'Anne Sinclair en hommage à son grand-père Paul Rosenberg, l'exposition 21, rue La Boétie s'est construite non seulement comme une exposition d'art moderne mais aussi comme un témoignage mêlant petite et grande histoire, art de faire et art de promouvoir.
Non seulement nous découvrons des toiles magnifiques de Picasso, Braque, Léger, Marie Laurencin ou encore Matisse mais en plus, le parcours très bien construit nous apprend les "ficelles" d'un métier !
Fils d'un marchand de grains devenu antiquaire et marchand d'art, Paul et Léonce Rosenberg suivront une direction identique par des chemins séparés. Les deux frères prennent dans un premier temps la direction de la galerie de leur père Alexandre avant que Léonce ne se décide, en 1906, à ouvrir sa propre galerie, L'Effort moderne, dans laquelle il accueille de nombreux cubistes. Paul ouvrira à son tour sa galerie, 21 rue La Boétie, ce sont les impressionnistes qui auront d'abord grâce à ses yeux.
La Grande Guerre le trouve aux côtés du général Niox pour lequel il organise, aux Invalides, des expositions au bénéfice des troupes, ayant lui-même été réformé pour raisons de santé.
Dès 1918, il invite Picasso à rejoindre sa galerie, ce sera le début d'une longue collaboration professionnelle mais également d'une profonde amitié. Le goût de Paul pour les artistes du XIXe permettra aux modernes de s'inscrire dans une sorte de filiation.
"(Picasso) voit la possibilité de s'évader du cubisme dont Paul n'était pas si friand, et sait qu'exposé à la galerie Rosenberg, il ne sera pas catalogué uniquement comme peintre d'avant-garde mais côtoiera les maîtres célèbres du siècle tout juste achevé. Paul, en 1918, représentait encore beaucoup le XIXe, et c'était pour Picasso l'occasion de s'inscrire dans la lignée des grands classiques des siècles précédents." écrit Anne Sinclair dans son livre.
Paul est un marchand habile, il prend ses artistes sous contrat, leur assurant un certain confort et s'offrant un droit de première vue, ce qui signifie qu'il est le premier à voir les nouveautés des peintres, qu'il choisit ce qui l'intéresse et les laisse libre de proposer à d'autres ce qu'il n'a pas retenu.
Ainsi, dès 1913, Marie Laurencin se lie à lui par contrat, George Braque en 1920, Fernand Léger en 1924 et Matisse en 1936.
Paul Rosenberg met tout en oeuvre pour promouvoir ses artistes, expositions, publicités, catalogues, tous les moyens sont bons. Il n'hésite bien sûr pas à se tourner également vers les Etats-Unis.
La Seconde Guerre Mondiale viendra bien sûr interrompre tragiquement ce bel équilibre. De confession juive, la famille Rosenberg se trouve contrainte à l'exil et les oeuvres de Paul qu'il n'a pas eu le temps de faire partir sont spoliées par le régime nazi. Il n'aura de cesse après guerre de se battre pour récupérer son bien et offrira, en remerciement de leur aide, un certain nombre de toiles à des musées français, notamment au Centre Pompidou.
Le parcours de l'exposition explique très bien non seulement les pratiques du marchand que j'ai évoquées plus haut, mais aussi cette période troublée, la propagande nazi contre l'art dit dégénéré, les spoliations et les restitutions.
Je vous épargne plus de détails, mais vous l'aurez compris, je vous conseille vivement cette exposition mais également la lecture du livre d'Anne Sinclair, et si vous ne pouvez vous rendre au musée Maillol, le hors-série de Connaissance des arts (entre autres) vous offrira une bonne vision de l'ensemble.
"Toujours l'obsession de montrer que l'art est une continuité et que les oeuvres qu'il expose et qui font hurler les bourgeois s'inscrivent dans la continuité de l'histoire de l'art de son pays."
Anne Sinclair 21 rue La Boétie