"Rencontrer" Chana Orloff dans son atelier maison de la Villa Seurat, Paris 14e
Chana Orloff est née en 1888 dans un village d'Ukraine et morte en 1968. Vous vous doutez donc bien que le choix du verbe "rencontrer" dans mon titre est une image. C'est un choix totalement assumé tant, lorsque l'on entre dans l'atelier de cette merveilleuse artiste, on entre dans son univers.
J'ai souvent croisé des œuvres de Chana Orloff dans diverses expositions parisiennes, ou au Centre Pompidou, et chaque fois l'émotion a été la même tant son travail est criant de sincérité, et d'une apparente simplicité.
Un mot pour commencer sur la Villa Seurat, Cité d'artistes créée par Jean Lurçat, peintre et tapissier, et son frère André, architecte. Ils parviennent à convaincre quelques amis, Marcel Gromaire, Robert Couturier ou encore Chana Orloff de les suivre. Plus tard, ce sont Dali, Chaïm Soutine, Anaïs Nin et Henri Miller qui s'installeront là.
Chana Orloff fera construire sa maison-atelier par Auguste Perret, avec pour cahier des charges la fonctionnalité des lieux permettant de conjuguer vie familiale et professionnelle. Les travaux commenceront en 1926. Chana y passera le reste de sa vie avec sa famille qui aujourd'hui encore occupe les lieux et nous ouvre les portes de l'atelier tous les week-end et occasionnellement, lors des journées du patrimoine et comme c'était le cas la semaine dernière pour les Journées de l'architecture.
Je vous mets ci-dessous quelques photos de la Villa Seurat, la maison recouverte de vigne vierge est l'atelier de Jean Lurça, actuellement en restauration.
Mais revenons à Chana Orloff, qui a adopté ce prénom suite à l'erreur d'un policier sur sa fiche d'entrée en France en 1910, alors qu'elle vient se former à la couture chez Paquin. La jeune fille a 22 ans, elle vient seule à Paris, sa famille est restée dans la banlieue de Tel-Aviv où le père les a entraînés pour fuir les pogromes, en 1905 dans leur village ukrainien, leur maison a été mise à sac et incendiée.
La jeune fille montre de réelles aptitudes au dessin, un de ses professeurs aux cours de formation professionnelle qu'elle suit le soir après ses heures à l'atelier Paquin l'incite à s'inscrire en école d'art, c'est ainsi qu'elle intègre La Petite Ecole, qui deviendra plus tard L'Ecole des arts décoratifs, gratuite et ouverte aux filles. Vous savez que même si les jeunes filles commencent à avoir accès aux écoles d'art, c'est un tour de force pour y entrer.
C'est par une rencontre de hasard que Chana vient à la sculpture, elle ne cessera plus. Elle entre à l'Académie Vassilieff, à Montparnasse, et commence à se faire des relations, Soutine, Modigliani, Pascin, Zadkine. Elle se lie d'amitié avec Jeanne Hébuterne.
Chana apprend, découvre, se forme au contact des autres, mais c'est son oeuvre qu'elle construit, sa personnalité qu'elle découvre.
Chana Orloff presque autodidacte rencontre rapidement le succès, elle épouse le poète Ary Justman, Elie, leur fils naît en janvier 1918 mais un an après, Ary meurt de la grippe espagnole à trente ans.
Chana ne renonce pas, malgré le contexte difficile, malgré les supplications de sa famille. Elle reste à Paris, sculpte et parvient à vivre de son travail.
Nuit. Les étoiles sont éteintes.
Le vent mène sa danse
Comme sur la scène : il hurle, siffle et fracasse.
Gravures sur bois des artistes de l'époque pour le recueil Figures d'aujourd'hui qui paraît en 1923, expositions aux différents salons ou dans des galeries, Chana travaille et se tisse un réseau d'amitiés. Pierre, bois, marbre, bronze, elle s'essaie à tous les matériaux.
Elle excelle dans les portraits bien sûr mais ses maternités, ses enfants, ou les scènes familiales autant que les animaux rencontrent beaucoup de succès. Elle expose aux Etats-Unis, où elle restera presque une année. Une salle lui est réservée au Petit Palais en 1937, l'Etat achète La Grande Baigneuse accroupie pour le Musée d'Art Moderne.
Rattrapée par les lois antijuives de 1942, Chana et Elie se plient aux contraintes de plus en plus nombreuses et vivent dans la crainte avant de parvenir à fuir en Suisse. Là encore, Chana réagit, se remet au travail pour parvenir à vivre et sourire autant que faire se peut.
De retour à Paris dans son atelier saccagé, Chana reprend sa vie, se remet au travail mais l'époque a changé et son art est moins prisé, sauf en Israël où elle fait de nombreux séjours et d'importantes expositions, et où elle mourra brutalement en 1968.
L'oeuvre de Chana Orloff m'a toujours beaucoup touchée, il y a une expression très forte et que je trouve sincère dans ses portraits, ses maternités, danseuses ou autres sujets sont d'une grande pureté. Vous l'aurez compris, j'aime beaucoup ! J'étais d'autant plus heureuse de pouvoir enfin découvrir son atelier.
C'est toujours avec bonheur que je découvre des artistes que l'histoire de l'art a un peu oubliés, en particulier des femmes. Le Musée du Luxembourg a récemment organisé de belles expositions sur ces grands oubliées qui ont pourtant eu beaucoup de succès de leur vivant. Je vérifie toujours dans les nombreux livres d'art dont je dispose, et bien souvent, aucune trace de ces femmes. Chana Orloff ne fait pas exception à la règle ! Absente d'un livre sur la sculpture, absente des anthologies d'histoire de l'art. Je vais finir par croire comme l'évoque le livre de Laure Adler et Camille Viéville (dans lequel Chana Orloff n'apparaît pas non plus, mais ce n'est pas une militante) : Les Femmes artistes sont dangereuses !
Et vous, vous connaissiez Chana Orloff ?
Je remercie sincèrement sa famille qui nous ouvre les portes de l'atelier et fait rayonner son travail, et son petit-fils, Monsieur Eric Justman qui nous accueillait la semaine dernière et répondait à nos questions.
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