Hélène Gestern, 555 (sonates de Scarlatti)
[...] une bibliothèque est un corps mobile, toujours en mouvement, où les livres naviguent, tanguent, s'engloutissent et réapparaissent. On ne compte pas les fantômes, les égarés dans un rayonnage où on les retrouvera dix ans plus tard, sans parler des pièces qui tombent en miettes quand on les ouvre pour la première fois depuis deux siècles.
555, Hélène Gestern, ce livre avait retenu mon attention dans un exemplaire de Page des Libraires puis je l'avais oublié, merci eMmA de l'avoir évoqué sur le groupe que nous fréquentons, Un Café, un livre une ville.
Pas de pièces non ouvertes depuis deux siècles dans ma bibliothèque mais des livres fantômes et des fantômes de livres, sans aucun doute !
La musique ne pouvait exister que dans l'immensité du silence intérieur
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Scarlatti : Sonate K 61 en la mineur (Allegro), par François Guerrier - #Scarlatti555
François Guerrier ouvre son concert avec une sonate unique dans le répertoire d'œuvres pour clavecin laissé par Domenico Scarlatti. Pour ouvrir son concert au Château d'Assas, François Guerri...
Cette sonate est un tourbillon émotionnel qui mélange l'exultation, l'apaisement, l'allégresse. La joie qui s'y exprime est pénétrée d'ombres ; Dieu sait de quelles douleurs le compositeur a nourri l'or et la lumière qui font vibrer sa musique.
Vous l'aurez compris, la musique de Scarlatti est au cœur de ce roman choral. Cinq personnes liées malgré elles par l'amour de la musique et une quête - quête de perfection, de rédemption, de reconnaissance, de pouvoir aussi d'une certaine manière - mais une quête matérialisée par une partition trop brièvement apparue et sur laquelle chacun fonde de nombreux espoirs pour arriver à ses fins ou étancher sa soif de gloire ou de pouvoir, de vie ou de survie.
Grégoire Coblence, menuisier ébéniste talentueux et dépressif depuis le départ de sa femme ; Giancarlo Albizon, luthier d'excellence, séducteur, menteur et joueur ; Manig Terzian, claveciniste virtuose vieillissante spécialiste de Scarlatti : Rodolphe Luzin-Farge professeur et musicologue ambitieux également spécialiste de Scarlatti ; Joris De Jonghe collectionneur richissime et désabusé depuis la mort de son épouse mélomane. Tous ont un amour réel pour la musique de Scarlatti, chacun a ses raisons propres.
Lorsque Grégoire Coblence trouve, dans la doublure de l'étui très ancien d'un violoncelle qu'il doit restaurer, une partition ancienne, son instinct l'incite à y voir une découverte majeure dont il s'ouvre à son associé le luthier. D'abord désintéressé, ce dernier comprendra la valeur de l'œuvre en écoutant la célèbre Manig Terzian lors d'un déchiffrage impromptu. Il n'en faut pas plus pour faire de ces quelques notes un trésor qui ne manque pas de disparaître très vite lors d'un vol dans l'atelier du luthier.
Cinq versions d'une même quête donc, qui nécessite d'être attentif au narrateur qui prendra la parole dans les différents chapitres. Cela peut-être un peu déstabilisant au départ, mais l'on s'habitue assez vite à la tonalité de chacun, la nonchalance dépressive de Grégoire n'étant pas difficile à repérer face à l'assurance orgueilleuse du musicologue ou à l'angoisse du luthier criblé de dettes et qui a laissé s'échapper la poule aux œufs d'or.
Au milieu de ce quintet, une voix s'invite tel un chef d'orchestre qui semble au départ mener la danse. Rapidement, des indices permettent de deviner qui tire les ficelles, la question reste de savoir si la merveilleuse sonate qui trouble tant d'esprits est ou non la 556e sonate de Scarlatti.
Je ne crois pas à la postérité des êtres. La gloire, la célébrité sont des hochets pour grandes personnes. Se croire immortel parce qu'on a gravé quelques disques n'est qu'une idiotie, une preuve supplémentaire de la vanité humaine. En revanche, je sais que la musique, la mémoire sonore de la musique, telle qu'on l'a transmise dans les comptines fredonnées au berceau, les chants, les rituels, avant de commencer à la déposer sur des rouleaux de cire il y a cent vingt ans, n'a pas d'âge.
Ce roman qui se lit et s'écoute - merci la technologie qui permet de vite trouver le morceau cité - offre un très agréable moment. Le style est plaisant, l'histoire bien menée. J'ai retrouvé avec émotion la référence au violoncelle de guerre de Marcel Maréchal, et l'évocation bouleversante du camp de Terezin. J'ai aimé l'interaction entre les personnages qui se dévoilent à travers le regard de l'autre, attachants ou antipathiques, là n'est pas la question, ils sont des vies.
J'ai un regret malgré tout, celui de n'avoir pas entendu à nouveau LA sonate en épilogue, pour replonger avec les différents protagonistes dans l'émotion premier du concert.
Ce furent trois minutes de beauté pure, de grâce suspendue, un de ces moments magnétiques qui abolissent la distance entre la musique, l'interprète et son public. Comme un corps gigantesque, la salle absorbait les mesures, se laissait happer, embraser, subjuguer par cette énergie neuve [...]
Cette femme m'avait rappelé que, malgré les coups de poignard, malgré les outrages que la vie nous inflige, elle pouvait encore, sans prévenir, nous inonder de joie, pour peu qu'on accepter de la laisser venir à soi.
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Scarlatti : Sonate en Ré Majeur K 416 L 149 (Presto) par Lars Ulrik Mortensen - #Scarlatti555
Lars Ulrik Mortensen interprète la Sonate pour clavecin en Ré Majeur K 416 L 149 (Presto) de Domenico Scarlatti. Extrait du concert donné le 15 juillet 2018 à 14h30, à la salle Pasteur du Coru...
Hélène Gestern, 555 aux Editions Arléa. Vous pouvez y aller les yeux et les oreilles grands ouverts !